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21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 08:53

La preuve du pire ne serait-elle pas en nous-mêmes?

Lorsque dans une assemblée - aujourd'hui comme autrefois -, règnent la confusion, le désordre et l'anarchie, où chacun se donne le titre de Responsable, de Maître, de Chef, de Roi, on dit que cet endroit est une véritable pétaudière. Dans son ouvrage, justement intitulé La Pétaudière (*), Youcef Merahi aborde librement ce thème alarmant en le rapportant à toute société en général, et à la nôtre subtilement évidemment, où l'on observe un irrespect flagrant des règles de gouvernance, où tout le monde est le plus savant et le plus intelligent et veut commander. Pourquoi pas moi? se dit le commun des mortels, du moment que n'importe qui peut être le chef par le seul jeu de la cooptation liée à «l'esprit de corps» (au sens khaldounien de açabiyya, mais par dérision). Si tel est le cas, toute assemblée - un groupe de personnes, une famille, une association, une société, une collectivité,... -, chargée d'une quelconque gestion, devient vite radicalement médiocre, extrême, intolérante, servile, contestataire, désobéissante, à tort ou à raison, et même contre l'un de ses membres, surtout contre son chef qui, dans son état le plus ordinaire, est incapable de diriger. Une entente étrange s'instaure naturellement entre les membres du groupe «uni-désuni» pour se défier les uns des autres. Et voilà la pagaille, le fatras, le grand bazar. Et voilà la déchéance humaine activée par la jalousie, la suspicion, l'ambition illégitime, morbide. L'esprit de corps sert donc à unir les hommes et à les désunir. Autant les hommes sont unis ou paraissent unis devant le malheur, autant ils se distinguent par leurs dissensions et les déloyautés mutuelles devant les questions du pouvoir, de l'autorité, du chef de groupe, auxquelles chacun d'eux, mesurant son importance et croyant mordicus en sa bonne étoile, lui seul saurait trouver des réponses. Aussi est-il intéressant, afin d'interpréter comme il convient l'objet du livre de Youcef Merahi, d'évoquer l'origine du terme «pétaudière»; il remonte au xvie siècle et apparaît dans cette phrase: «Mouflarde, petaude, vessue, / Retirez-vous, le nez vous sue (Des Accords, Descriptions, p. 21, éd. de 1614). Molière, dans Le Tartuffe, I, 1 (1664) fait dire à son personnage Madame Pernelle: «Dans toutes mes leçons j'y suis contrariée, / On y respecte rien, chacun y parle haut. / Et c'est tout justement la cour du roi Pétaut.» Sous la plume de Philibert Joseph Leroux, Dictionnaire comique (1718), il est question d'un personnage légendaire: «C'est le roi Peto», inspiré d'un proverbe qui se dit de «l'assemblée des gueux, et peto signifie ici je demande.» Il aurait aussi un autre sens, burlesque; plutôt vulgaire que familier. Saint-Simon ([1675-1755], Louis de Rouvroy, duc de), auteur de Mémoires, 36, 160, décrivant la vie de la Cour Royale, note: «Après une longue pétaudière, il fut résolu que le roi serait informé de cette insolence.» Dans sa Lettre à D'Alembert, 7 août 1766, Voltaire écrit: «Genève est une pétaudière ridicule; mais du moins de pareilles horreurs [l'exécution du jeune la Barre] n'y arrivent point.» On pourrait aisément par ailleurs retrouver d'autres indications sur l'origine de «pétaudière». Tout en faisant mes excuses d'avoir osé cette longue digression, je reste persuadé qu'elle était nécessaire pour approcher l'intention de l'auteur et apprécier valablement les subtilités du récit que nous propose Youcef Merahi. En effet, ce roman, La Pétaudière, nous introduit de plain-pied dans le sujet où réalité et fiction alternent, souvent s'entremêlent, restituant des scènes tragiques et des scènes d'espoir encore vives dans les mémoires. Que de faits historiques multiples, relate le récit de l'Algérie de toujours! Une fresque immense et glorieuse s'étend à travers les siècles, les étendues du territoire et les générations humaines successives: la Kabylie de l'Ancêtre qui «a préféré le vertige des cimes pour échapper au danger des plaines»; Lalla Fatma N'Soumeur qui «a gravé pour l'éternité son combat dans la chair rugueuse de la montagne de l'honneur»; l'Arch Warissem, la légende du gros village Béni Wadhou et ce que racontent les «imyaren» et ce qu'il en reste du fameux maqam de Si Lhadi... Et le temps suit son cours, et le mektoub semble régir en souverain la vie des hommes qui n'en peuvent mais. La lutte de libération nationale fait face à la guerre que livre l'armée coloniale au peuple algérien. Unies, la Nature, par ses reliefs dressés en obstacles protecteurs et défensifs et les Populations, par leur héroïsme infaillible, combattent implacablement la vilenie et l'acharnement criminel de la soldatesque coloniale française. Le pire est supportable; le pire exerce le courage; le pire soutient l'honneur de mourir pour son pays et pour l'honneur qu'il faut laisser en héritage aux générations suivantes. Un exemple entre mille: la souffrance du moudjahid Mouh n'Mouh et le cri de son épouse qui donne naissance à un garçon qui «s'appellera Itij n'Mouh». L'idée de l'Éternel, la puissance de Dieu, renforce la réflexion: rien n'est plus authentique que l'acte de vie accompli en toute conscience. La Morale générale prend une forme constante dans le récit - certes court mais son pouvoir est long - de Youcef Merahi. Il conte ce que nous étions aux Temps Premiers, ce que nous avions appris des Temps Suivants, ce que nous observons aujourd'hui même dans notre pays: l'évolution de l'homme n'est ni neutre ni simple, et moins encore en chère Kabylie. L'oubli, l'ignorance, la passivité, le goût du luxe, la vie insouciante, autant que le gain facile, figent la raison et corrompent le coeur. Il faut chercher la qualité humaine dans les normes de l'action et tout particulièrement dans les fondements de la conscience personnelle qui se forme par la connaissance et l'action, choses acquises auprès des seuls ancêtres et perdues au cours des siècles de guerre. Or, l'exemple des temps récents de la commune At Wadhou est, à cet égard, fort significatif, puisque les élections municipales ne sont pas saines. «Le nif aujourd'hui, ainsi que le constate l'auteur, mis en rebut, tait par tartufferie atavique» toutes les tragédies sociales, dénature toutes les nobles traditions. Une critique juste, éducative et formative est lancée superbement par Youcef Merahi. Une écriture directe - j'allais dire simple - donne du relief au propos qui se veut clair et empreint de sagesse populaire. Est-ce une mémoire qui se veut «roman» écrit pour agir? Mais agir sur qui? Comprendre avec humilité «agir sur nous-mêmes». En somme, ce qui pouvait être, ailleurs, une formule probable que «L'enfer, c'est les autres», laisse supposer que chez nous, «L'enfer est en chacun de nous». De fait, toute une décennie de désespoir nous a enseigné qu'en quelque lieu qu'il se planque, Bou Khandjar, l'homme au couteau, n'a pas d'avenir! Dure vérité, sans doute, est La Pétaudière de Youcef Merahi, mais il faut l'assumer pour s'élever au-dessus du symbole que formerait le personnage d'Itij - «le candidat de l'avenir et que la mafia locale veut bâillonner» -, car il faut se persuader que «Demain, le soleil brillera». Cette commune dont parle l'auteur est bel et bien toute l'Algérie. Cela se résume magnifiquement dans les lignes suivantes: oui, «Jusqu'à nos jours, il en est ainsi des Kabyles. Ils opposent leur irrédentisme à tout vent. Ils sont prêts à rompre, à se briser, à mourir. Jamais ils n'ont accepté de se plier, de courber l'échine, d'admettre la flagornerie.» Oui, il en a été ainsi, il en est ainsi dans toutes les régions d'Algérie chaque fois que la parole humaine est fondamentalement algérienne.

(*) La Pétaudière de Youcef Merahi, Casbah-Éditions, Alger, 2011, 124 pages.

 

in : L'expression

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