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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 13:43

mhamed-issiakhem.jpgIssiakhem M’hamed. Peintre. Né le 17 juin 1928 à Ait Djennad près d’Azeffoun en Grande Kabylie, il vivra son enfance et son adolescence à Relizane où se sont installés ses parents alors qu’il n’a que 3 ans. Le père, riche propriétaire de bains maures, notable de la ville et militant nationaliste est trésorier de la medersa de Relizane. Il reçoit chez  lui les uléma et aide à la construction de medersa. Le jeune M’hamed fréquente très tôt l’école coranique et baigne dans l’ambiance du mouvement nationaliste de l’époque. Il passe son certificat d’études primaires et montre déjà des dispositions pour le dessin puisqu’il reçoit un premier prix à l’age de treize ans, mais il ne songe pas à l’art outre mesure.
Le 27 juillet 1943 survient un drame qui va changer définitivement le cours de sa vie. En manipulant une grenade subtilisée dans un camp militaire américain. Il provoque une explosion qui tue une de ses jeunes sœurs et son neveu sur le coup … La seconde sœur est grièvement blessée. Lui-même perd son bras gauche, des orteils, une phalange et gardera des éclats dans la main et les yeux. Yasmine, sa jeune sœur, meurt peu après à l’hôpital. Il portera, toute sa vie, les traces indélébiles de cet accident …
Meurtri par ces tragiques évènement, il quittera le foyer familial en 1947, arrive à Alger où il s’inscrit à la Société des Beaux-Arts, suit des cours d’enluminure et de miniature ( il garde sa vie durant d’excellentes relations avec les peintres et miniaturistes Temmam, Hioun, Louail et Kerbouche) puis rejoint l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Alger où il sera l’élève de Mohamed Racim. Il se lie d’amitié avec Kateb Yacine en 1951.
Durant la même année, il expose ses premières œuvres à la galerie Morice (Paris). Il fréquentera l’Ecole des Beaux-Arts de Paris de 1955 à 1958 et se forme dans les ateliers des maîtres Legueult et Goerg. A Paris, il découvrira les intellectuels et les grands maîtres de la peinture. Il peint en 1957 la porterait de Djamila Bouhired pour dénoncer la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. Les toiles qu’il a réalisées à cette époque étaient un véritable hymne à la Révolution algérienne et un témoignage poignant sur les atrocités commises par les soldats de l’occupation, comme le souligne son ami d’enfance Yacine Damerdji. Il expose en 1959 à la galerie Daulshag à Leipzig en République démocratique  allemande où il réside, et à Paris en 1966.  
Pensionnaire de la Casa Velasquez en 1962, il rentre à Alger avec Kateb Yacine et collabore jusqu’en 1964 au journal Alger-Républicain. Membre fondateur de l’Union nationale des arts plastiques (UNAP), il rejoint l’Ecole nationale des Beaux Arts d’Alger où il devient enseignant en 1964. Il est nommé, en 1966, directeur à l’Ecole des Beaux-Arts d’Oran. En 1969, il obtient au Festival panafricain d’Alger le premier prix pour son œuvre A la mémoire de …  En 1971, il est professeur d’art graphique à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger. Il séjournera en 1972 à Moscou et en 1977 au Vietnam.    
Membre du Groupe des 35, Issiakhem participe à de nombreuses expositions en Algérie et à travers le monde (Tunis, Paris, Sofia, Moscou, Avignon … ). Il s’est occupé également de création de timbres-poste et de billets de banque et participe à la réalisation des fresques du musée central de l’Armée. Il réalise l’illustration du roman Nedjma de  Kateb Yacine en 1967, et assure les décors des films La voie de Mohamed Slim Ryad et Novembre  de Damerdji en 1968 et 1971.
Il reçoit de nombreuses distinctions dont le prix de la Casa Velasquez en 1958, la médaille d’or à la Foire internationale d’Alger en 1973, la première Simba d’or de la peinture décernée par l’UNESCO en 1980 à Rome, la médaille du Vatican en 1982 et la médaille de Dimitro à Sofia en 1983. Il épouse, en 1971, Nadia Chelliout. Deux garçons, Younès et M’hamed, naîtront de cette union.
Il meurt à Alger dans la nuit du 1er décembre 1985 des suites d’une longue maladie.
Plusieurs expositions se sont tenues en hommage à cet illustre artiste et la ville de Relizane lui a rendu hommage en présence d’un grand nombre d’artistes et de sa veuve. Il recevra le 5 juillet 1987, à titre posthume, la médaille du mérite national.
Ses œuvres sont conservées au musée national des Beaux-Arts d’Alger, au musée Zabana d’Oran, à la Présidence de la République et la plus grande partie dans des collections privées. Seulement 500 œuvres sont répertoriées à ce jour.
Issiakhem a sans nul doute laissé une œuvre considérable et variée qui demeure un legs inestimable pour le patrimoine culturel national. Il a durant sa carrière exercé sur de nombreux registres : élève du grand maître Racim, il maîtrisait l’art de la miniature. On lui doit également de nombreuses œuvres graphiques, quelques paysages et des compositions dans l’art abstrait. Mais c’est incontestablement dans l’art du portrait, notamment féminin que le peintre s’est le plus distingué. Quelques jours avant sa mort, le peintre confie à un journaliste algérien qu’il a commencé en peignant le portrait de Djamila Bouhired arrêté à Alger, condamnée à mort et torturée … «  Depuis, dira-t-il, je peins toujours Djamila. » Le portrait servira de document au FLN pour dénoncer la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie …    
La femme restera sa principale source d’inspiration. « Femmes-symboles, mais non icônes », dira Anissa Bouayad dans l’Art et l’Algérie insurgée. Ce qui l’on retiendra des multiples portraits qu’il réalisera, c’est que Issiakhem, ce peintre « iconoclaste et irrévérencieux », tel que le définit son ami l’écrivain Benamar Mediene va défier les conventions artistiques et les règles de l’esthétisme classique …. L’observation d’anciennes gravures, comme cette Rue de la Casbah datant de 1949, laisse entrevoir une maîtrise parfaite des règles techniques de la perspective et un sens aigu de la précision … Pourtant les personnages d’Issiakhem semblent appartenir à un univers fantasmatique et irréel de tourmente et d’angoisse. Visages familiers ou ombres anonymes, jeunes personnes ou créatures plus âgées, les femmes d’Issiakhem semblent asexuées, dépourvues d’artifices et de galbes suggestifs et ne développent aucune esthétique sensuelle particulière … Elles paraissent même avoir perdu le moule de la bienséance figée … Elles sont saisies dans leur vérité profonde, dans leur cruelle réalité telle que la stigmatise le peintre … Leurs traits sont alors volontairement déformés, leurs défauts violemment exacerbés … Tordus de douleur, en transes ou éperdus de sérénité, elles sont touchantes dans leur sincérité gauche et profonde               «  Quand je peins je souffre, j’ai mal … », dira le peintre.      
Il ira au-delà des apparences pour explorer l’intériorité de l’âme …
L’ « œil de lynx », comme l’appelle son ami le poète Kateb Yacine pour sa brûlante perspicacité, ira du simple visu vers l’au-delà de la conscience des choses. « Je peins, dira-t-il, à partir de mon lien de mon histoire pour aller plus loin dans le temps et  l’espace … Mes personnages algériens n’ont pas déliré ! …»  
Indubitablement, c’est dans son histoire tragique qu’il va puiser la sève nécessaire à sa verve créatrice : les deuils multiples provoquées par l’horrible déflagration, la douloureuse perte de ses proches, la privation de son bras qui le hantera très longtemps et la frustration de l’amour maternel.
Peintre à l’expressionnisme abstrait, fervent admirateur  de Soutine, Issiakhem donne la pleine mesure de son talent dans cette huile sur toile réalisée en 1962-1963, La veuve, et dont Lucien Golvin dira : « La veuve d’Issiakhem est si émouvante et si vivante qu’on y retrouve un écho vécu … », car ce n’est pas l’icône de la veuve éplorée, abîmée dans sa douleur et son deuil que nous oppose le peintre … C’est une représentation d’un réalisme cinglant qui le fera aller au bout des choses et fera dire à l’écrivain Benamar Mediene : « Ce n’est pas une attitude de malheur matrimonial qui est sujet mais l’oubli … la digne rigidité du corps évoque oblitération et sutures sensuelles. C’est un corps impensé, soustrait à lui-même et qui subit par cette intégrale négation, une violence d’anéantissement » … On remarque que la femme tient à ses côtés un enfant aux traits durement burinés d’adulte. Il se serre en bouclier (ou en étendard ? ) tout contre sa mère, et semble porter tout  le poids de la tragédie de l’histoire : Lucien Golvin, saluant encore une fois ce chef-d’œuvre, ajoutera : « Issiakhem, par la grandeur simple de sa verve, justement parce qu’il n’a pas recherché l’effet, parce qu’il n’a pas torturé son talent, a trouvé la note juste … ».
Tout au long de sa carrière, le peintre, rompu aux débats d’école et aux techniques les plus modernes de l’art contemporain, a tenté de percer le mystère des êtres et d’aller aux tréfonds de l’âme humaine en peignant avec cet art nu, dénué de fioritures, projetant en amalgames compacts sur sa toile, les vibrations de sa charge émotionnelle intacte, puisant dans la profondeur de sa conscience et avec son inénarrable talent la force de sa douleur, car, comme l’affirme Anissa Bouayad, analysant l’impact de la guerre d’Algérie dans l’œuvre l’Issiakhem, on y retrouve « ce catapultage de l’histoire et du drame personnel, de l’imaginaire du peintre et d’une conscience collective dont ces figures de proue incarnent à la fois la souffrance et la résistance ».   
Privilégiant l’abstraction, il a néanmoins préconisé la représentation de la figure humaine, essentielle pensait-il à la perception de l’art pour un public en majorité non initié. Ses compositions tenteront la subtile réunion des trois éléments : végétal, minéral et animal et iront au fil du temps vers un style de plus en plus dépouillé.
Djamila FLICI-GUENDIL
( in DIWAN AL-FEN, Dictionnaire des Peintres, Sculpteurs et Designers Algériens,  ENAG/ANEP 2007)

 

 

Témoignages récents et interessants de quelques amis :
 

 

SLIM : Je me souviens encore…

M'hamed Issiakhem m'a toujours intrigué. Je l'ai souvent rencontré via des amis qui le connaissaient bien, fin des années 1970 à Alger. M'hamed me faisait penser immédiatement au look des peintres de la période des années vingt à Paris. Il ne parlait pratiquement jamais de peinture. Il préférait, je pense, que son travail soit d'abord admiré et que la jonction entre l'œuvre et celui qui la contemple soit faite. J'ai vu beaucoup de ses tableaux chez des amis communs qui les gardent précieusement dans leur salon. Ils lui avaient fait la promesse de les lui restituer en cas de rétrospective, mais ça devait être des promesses de Gascons !

Sa peinture met mal à l'aise tant elle raconte les souffrances de ses personnages et leur univers chaotique. J'ai beaucoup apprécié certaines de ses huiles qui étaient chez Néfissa, une de ses plus grandes amies à Tunis et à Rabat. J'ai pu mesurer l'ampleur de l'artiste et son travail complexe. M'hamed me respectait beaucoup, mais moi, il m'intimidait. Surtout à cause de son infirmité qui me faisait penser à Vincent Van Gogh, je ne sais pas pourquoi. Je l'ai côtoyé aussi un moment à Paris en 1972 avec Kateb Yacine qui faisait sa tournée avec la pièce Mohamed prends ta valise et avec lequel j'avais un projet de BD, resté à l'état de vœu pieux. Je me souviens encore de ce petit restaurant kabyle où nous passions beaucoup de temps à refaire le monde. J'entends encore le rire d’Issiakhem et ses empoignades amicales avec son ami Kateb...

Puis vint la période du journal La République avec Bachir Rezzoug, en 1973, à Oran. Là aussi, je le rencontrais au hasard de ses entrevues avec notre directeur qui l'appréciait. Il avait même SA rubrique spéciale dans le quotidien révolutionnaire d'Oran. Je m'en veux de ne pas avoir brusqué cette timidité qui m'a empêché de le connaître davantage, d'échanger avec lui, le grand Issiakhem. Ah ! Si tous les heureux dépositaires de ses toiles daignaient au moins les laisser photographier pour les répertorier ! Toutes ses œuvres innombrables, disséminées de part et d'autre de la Méditerranée, seraient alors connues pour que notre mémoire se souvienne de l'œuvre grandiose de M'hamed !

-Djahida Houadef : Eclat maternel

Issiakhem a vraiment le pouvoir de manipuler la lumière, un genre de pouvoir divin qui n’a été donné qu’à lui. Lorsque j’ai rencontré son œuvre dans les années quatre-vingts, j’ai cru la voir naître des côtes de nos mères. Une douleur aiguë, sans aucun cri ni écho. Une délivrance incertaine avec une expression floue et vague qui essaye de sortir de sa craintive chrysalide. Des corps difficiles à cerner compulsent la stabilité de l’horizon. Une présence abattue par un poids invisible exprime ce besoin de quelque chose. Des regards coléreux et vagues perdus dans l’interminable doute.

Les traces d’un chaos ou d’une guerre pesante étaient bien présentes. Des plaies en multiples craquelures devaient être restituées, même s’il le faut avec un seul bras. En coups de brosses ou en estampes de couteaux, cette force intérieure devait bien réagir pour son existence. Avec une concertation étroite par une affectivité partagée, une tendresse héritée et un amour nourri, les ailes de la liberté se sont rétablies et nos mères ont refondu au cœur de l’œuvre d’Issiakhem une Nedjma au goût de notre amour, l’Algérie…                                                    

-Nour-Eddine Saoudi : Souffrances et chuchotements

Issiakhem, M’hamed. Aurait-il pu s’appeler autrement ? Je ne peux imaginer un autre patronyme que celui qui le consacre aujourd’hui, que celui qui le révèle à son environnement naturel, son Algérie, à nous tous, mais à lui d’abord. Son nom est désormais et inéluctablement lié à son œuvre. Violenté, il s’est fait violence. Meurtri dans sa chair et dans son sang, il tentera désespérément de s’absoudre de la cruelle culpabilité qui le ronge, qui le précède dans sa fuite pour mieux s’emparer de son âme tourmentée.

Elle libérera son génie créateur. Voilé, éthérique, son ouvrage d’orfèvre nous le révèle enfin. Explosion de violence qu’il voudrait partager, mais parce qu’elle est pudeur, elle est tue. Souffrances de l’homme, souffrances d’une terre prodigue, souvent trahie, à laquelle il appartient. Ses meurtrissures sont susurrées, chuchotées à l’aimé, car lui seul peut comprendre la mesure des allusions et des douleurs contenus dans ses toiles. Nous sommes ces êtres aimés… Du moins, nous l’espérons.
N-E.S. Musicien. Géologue et préhistorien.

-Mohamed Balhi : Ces silhouettes qui me hantaient

A mes débuts à Algérie-Actualité, en 1980, j’avais été hanté longtemps par deux peintres aux styles opposés. La nuit, Issiakhem, et le jour, Ziani. Il se trouve que j’étais alors généreusement hébergé par le réalisateur Hassan Bouabdallah, dont l’admirable épouse, Malika, était directrice du Musée national des beaux-arts. Ce couple d’artistes avait lui-même été dépanné par un ami qui leur avait prêté son bel appartement, non loin de la place Addis Abeba et du restaurant Carthage. Je dormais dans le salon, avec, comme décor, des œuvres authentiques de M’hamed Issiakhem, dont l’une rehaussée d’un texte de Kateb Yacine.

Je pouvais à tout instant contempler ces silhouettes tourmentées, badigeonnées d’ocre et de bleu. Chaque matin, je passais par le souterrain des facs et je m’attardais sur les tableaux hyperréalistes exposés dans la boutique de Ziani.
C’était, avant le croissant et le café crème, mon choc émotionnel. Un jour, alors que j’avouais ma préférence pour le style Ziani, j’eus l’impression d’avoir commis un sacrilège.

Hassan m’engueula : «Quoi ! Tu n’aimes pas Issiakhem ? Ziani, ce n’est que la maîtrise de la technique pure !» «Chez Ziani, dis-je, on voit vraiment les veines de la main crispée, comme si l’on assistait à un cours d’anatomie (merci Rembrandt !)» Issiakhem me renvoyait-il l’image d’une Algérie déstructurée, d’une société désarticulée, dont je voulais effacer les traces ? Comment me défaire de ces silhouettes qui m’empêchaient parfois de dormir, alors que j’avais toute la baie d’Alger en vue et ses scintillements la nuit ? Ces silhouettes difformes, je pouvais les toucher...  

En fin de compte, c’est Issiakhem qui triompha dans mon subconscient.  Car il est là à chaque fois que je vois un artisan pétrir de la glaise, à chaque fois que je croise, au détour d’une ruelle, une femme d’un certain âge. Quelqu’un a dit : «N'oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là nous y obéissons sans le savoir». C’est de Vincent Van Gogh, un autre écorché.

-Nouredine Ferroukhi : Son art n’est pas mort

Mettre en vis-à-vis la vie et l’œuvre d’Issiakhem est une tentation que l’artiste à alimentée et en même temps rendu vaine. S’il a toujours affirmé que sa peinture porte un témoignage permanent de sa vie, c’est qu’elle n’est pas seulement un reflet plastique, mais l’écho d’un vécu. Ainsi, l’œuvre relève aussi bien de l’attitude de l’artiste et de son engagement que de l’origine culturelle de son art. Comme il le disait si bien, «un pays sans artistes est un pays mort». Cela veut dire aussi que la culture rentre dans l’œuvre sous toutes sortes d’aspects. Voilà pourquoi l’œuvre se construit, par conquêtes et par à-coups, crises, ruptures et remises en cause majeures, mais non sans tourments, avec un acharnement et des reprises qui la font échapper à la linéarité de la chronologie.

Le questionnement sur l’existence remonte à loin et continue à se poursuivre. La difficulté d’être dans ce monde correspond, dans l’art, à la crise de la représentation que l’artiste Issiakhem a voulu démontrer à travers son propre style. Il abandonne toute référence anecdotique à la vie, à seule fin d’en extraire plus clairement le motif dont il a le plus besoin pour donner corps à sa vision. Issiakhem a l’art de toujours tisser des liens forts entre son travail et ses expériences personnelles. (…) Comme tout créateur véritable,
Issiakhem est conscient que lorsqu’il peint, tout comme il peindrait un portrait, il ne cherche pas la ressemblance, qui lui importe moins que la vérité. S’il s’interroge sur lui-même, c’est à partir des moyens qui sont les siens.

Sous le nom de M’hamed Issiakhem, les mots peuvent-ils remplacer l’émotion provoquée par un tableau, par un dessin ou une eau forte ou la déclencher mieux que le regard ? Ce regard d’Issiakhem que son ami, Kateb Yacine, surnommait «Œil de lynx».

-Liazid Khodja : Le happening permanent

L’Algérie des années soixante-dix a vécu un bouillonnement culturel dont on n’a pas fini de faire l’inventaire. Les écrivains, tant francophones qu’arabophones, bousculaient la frilosité de leurs aînés. Les cinéastes, autour de la Cinémathèque, emportés par la fièvre des temps nouveaux, se reconnaissaient dans Omar Gatlato. Les peintres, partagés entre rupture radicale et réappropriation critique de l’héritage pictural ancien, cherchaient des réponses à leurs rêves…

C’était l’époque de la chanson A vava inouva. C’était aussi Alger, ville ouverte, avec ses terrasses et cette ivresse d’exister, Alger où l’on croisait ce couple magique du peintre et du poète : M’hamed Issiakhem et Kateb Yacine. Familiarité, proximité, complicité, on s’enivrait au vrai sens du terme de ces rencontres dont, avec l’accoutumance, on attendait le moment des retrouvailles. Issiakhem comme Kateb Yacine nous fascinaient par ce permanent happening, marqué par une douloureuse quête identitaire. L’un comme l’autre, l’un et l’autre, ont donné tant à la peinture qu’à la littérature, leur dimension tragique, celle de la plus haute exigence.

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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 07:37

Entre les aquarelles, les pastels, les peintures à l’huile et les encres de Chine, le visiteur ne peut être  qu’admiratif devant  les œuvres de l’artiste peintre Nourreddine Chegrane.

Personnalité incontournable du monde des arts plastiques depuis trente-cinq ans, Nourreddine Chegrane ne cesse de surprendre aussi bien les esthètes que les profanes à chacune de ses nombreuses expositions. Intitulée «Emotions», cette présente exposition est un genre de rétrospective regroupant d’anciennes et de nouvelles œuvres de l’artiste. Les murs de la galerie Art 4 You sont tapissés d’une multitude de tableaux aux dimensions variées. D’emblée, on en prend plein les yeux. Il faut prendre son temps et du recul pour apprécier et entrer dans les tableaux.

Nul doute que lorsque l’on se retrouve face à ses toiles, on est subjugué et submergé par l’émotion. Ses peintures sont l’opposé de la tristesse. Elles nous font pénétrer dans un monde de bonheur, apportant des instants de détente certains. En effet, celles-ci regorgent de musicalité, de couleurs, de fraîcheur et de bonheur. «Tamaghra» (fête), «Danseuses sous la pluie», «Transmission» et «Printemps» sont autant d’œuvres joyeuses, dépouillées de toute superficialité. Elles expriment tout en peu de traits bien placés, à l’image de ces tapisseries, de ces signes, de ces symboles. Une voie qui montre l’essentiel.

Chegrane a ce don de conjuguer l’esthétique et le geste spontané. «Je ne voudrais pas partager mes ennuis avec mon public, mais je veux donner du plaisir et du repos. Je ne  transmets pas tout à fait mon état d’âme, même si je suis dans une mauvaise période. C’est vrai que je suis dans une décennie très tendue, mais je ne le reflète pas à 100%. Il y a quelque chose qui se dégage, mais je ne voudrai pas agresser le public avec mes problèmes», confie-t-il. Pour ceux qui ont suivi le cheminement de la carrière de l’artiste, il est aisé de constater que Nourreddine Chegrane s’est libéré quelque peu de la tourmente dans laquelle il a œuvré pendant une certaine période de sa vie, pour se faire le traducteur sensible de l’euphorie.

Ses silhouettes élancées, qui esquissent les mouvements du corps, le chatoiement des couleurs, leur enchantement au soleil et leurs nuances raffinées dans certaines  situations, dévoilent son émerveillement sincère et fin. Les silhouettes de Chegrane sont ourlées d’une profusion de couleurs et veinées de lumière, attestant, à coup sûr, de la qualité de son regard profond, ample et réfléchi. Cette exposition est rehaussée par la présence d’un nombre assez restreint de tableaux réalisés à l’encre de Chine, en petits formats. Une technique que l’artiste maîtrise depuis quelques années déjà.

«Ce genre de graphisme, explique Nourreddeine Chegrane, est important aussi bien pour l’artiste que le public. Les gens ne sont pas habitués au noir et blanc. Pourtant, ce sont des couleurs importantes vu qu’il y a l’expression et même parfois la personnalité de l’artiste qui se dégage à partir de ces dessins. Il faut que cela reste dans un esprit de dessin. Il faut qu’on habitue l’œil au noir et blanc.» Disciple du regretté M’hamed Issiakhem et fervent défenseur des  «aouchems», Nourreddine Chegrane confie qu’il a été influencé par son regretté maître. Il est toujours présent dans ses pensées et au moment de ses tracés.

Le plasticien caresse le rêve de réaliser, à l’occasion des trente-cinq années de sa carrière, une imposante exposition de peinture qui retracerait son riche parcours artistique. «C’est une question de logistique, car il faut un support matériel important. Je veux exposer des œuvres de grands formats vu l’éventuel musée qui accueillera cette exposition. L’idéal serait de récupérer, auprès des collectionneurs et des particuliers, d’anciennes œuvres.» Il est à noter qu’après cette exposition, qui durera jusqu’à la mi-décembre à Art 4 you, sera suivie d’une seconde exposition sur les planches à laver au niveau de la galerie Thevest de Kouba.

El Watan

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 09:22

Qu’il préfère Taha Hussein à Naguib Mahfoud, qu’il s’exprime en arabe ou en français ou qu’il privilégie l’art et la forme littéraires au contenu du texte, et qu’il est le «dévoilant» par excellence du tabou sexuel, ou qu’il déveloboudjedrappe une phobie des cimetières qui l’a même empêché d’assister à l’enterrement de sa propre mère, Rachid Boudjedra est toujours présenté comme l’un des plus grands écrivains algériens.
Celui qui a suscité avec l’Egyptien Taha Hussein, selon Ali Tlilani, écrivain et modérateur de la séance, les plus âpres polémiques dans le monde littéraire arabe. Venu présenter sa dernière publication Les figuiers de Barbarie, mardi, lors de «Entretien avec le connaisseur», «Likaa el-arif», au Palais de la culture et des arts, dans le cadre de l’exposition des arts plastiques de Mohamed Skandar, il a eu, comme à chaque fois qu’il se déplace à Skikda, en face de sa littérature d’envergure mondiale, un maigre public. Le préalable médiatique n’a pas eu lieu. Lors de son allocution d’ouverture, il a été charmé par le fait que dans l’assistance, on comptait des élus politiques, notamment ceux de l’Assemblée populaire communale. Abordant son dernier livre, qui marque son retour à la langue de Molière comme moyen d’expression, il insiste sur le fait que la trame présentée soit intégralement véridique. Les figuiers de Barbarie parle de la génération encore vivante de la Révolution algérienne. Celle qui l’a vécue, subie ou ayant été partie-prenante à son épanouissement. Des doutes qui les taraudent. De cette «sélectivité philosophique », dont il garde un si précieux souvenir du temps où il enseignait alternativement la philosophie et les mathématiques au lycée, qui en donne l’assise. Le deuxième aspect du livre est une reconnaissance, qui fait fi des divergences idéologiques et religieuses. Rachid Boudjedra rend hommage, selon ses dires, aux amis juifs et chrétiens qui ont combattu aux côtés des Algériens musulmans. A une question sur le pourquoi de l’alternance entre expression linguistique arabe et française, l’auteur de La Répudiation le justifie pour des considérations politiques. Il a écrit dans la langue de Voltaire pour fuir la chape de plomb des années 1970, période considérée, selon Boudjedra, comme le firmament du contrôle politique, culturel et sexuel. Ce qui n’est plus le cas actuellement, où une certaine tolérance est constatée dans les mœurs politiques quand il s’agit d’aborder des thèmes divers, notamment celui sexuel. Au sujet de ce dernier, l’auteur explique ce penchant pour diverses raisons. Parmi elles, le fait que le sexe soit abondant dans la vie, il a été même traité, selon ses dires, par le Coran. «Nous évoluons dans une société hypocrite», dira-t-il. «Actuellement, le sexe n’est plus un tabou, puisque tout le monde en parle, notamment les jeunes, à travers l’internet et ses réseaux sociaux. Pour ma part, je suis devenu un peu vieux pour encore en parler», conclut-il.

 

Le Soir d'Algérie

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 09:01

HAMID-GRINEL’absinthe est une plante, un stimulant psychique. Son effet est narcotique, légèrement stupéfiant et donne un sentiment paisible et apaisant. Elle titre le nouveau roman de Hamid Grine, Un Parfum d’absinthe paru aux éditions Alpha

Cette boisson verte aussi «green» - couleur allusive en anglais de Grine - est, par excellence, l’élixir des écrivains comme Marcel Proust qui en consommait, en prime de sa légendaire madeleine. Car inspiratrice. Cependant, le nouveau livre de Hamid Grine ne fait pas dans l’apologi spiritueuse mais «spirituelle » aux allitérations littéraires. A la recherche du temps perdu du côté de chez… Camus.
A la recherche de son père «spirituel», Albert Camus. Un Parfum d’absinthe débute avec la mort du père de Nabil. Une paternité posthume remise en cause. A propos de ce deuil, l’auteur dit : «Ce deuil attise les convoitises de l’oncle Messaoud qui confie le soir même du troisième jour à son neveu Nabil, professeur de français, intègre et compétent, qu’il n’est pas l’héritier de son père. Mais juste un bâtard recueilli par son frère.Le deuil, comme c’est souvent le cas, fait remonter en surface toutes les vieilles rancunes familiales. Il dévoile les personnes sous leur vrai jour. Messaoud est un viveur jouisseur, Nabil est honnête homme trop positif pour l’Algérie d’aujourd’hui. Le deuil n’est pas synonyme de tristesse pour Nabil. Mais de délivrance d’un père froid, distant et dur avec sa défunte mère.».

Aussi, Nabil effectuera une quête initiatique. Il fera son inventaire à la Prévert. Une pierre de touche pavant la voie de la tolérance.
Toutefois, Hamid Grine posera la question frontale de l’engagement des intellectuels pour la cause algérienne et le combat anti-colonial.Un pavé dans la mare : «Comme la majorité des Algériens, Nabil n’est pas sûr de ses origines. Sa généalogie s’arrête à son grand-père. D’ou sa quête identitaire pour se retrouver et se réconcilier avec lui-même. En marchant sur les traces de Camus, c’est lui même qu’il découvre. L’homme Camus, son supposé père, mais aussi les autres écrivains algériens contemporains.
Avec l’ami de Camus, Rabia et sa petite fille la belle Sarah, il apprend à recadrer Camus dans une autre perspective : comme un écrivain français d’Algérie et non comme un Algérien. Il faut le louer pour ce qu’il a fait au lieu de le blâmer pour ce qu’il n’a pas fait.
Après tout, c’était un colonialiste humaniste, comme l’a qualifié Albert Memmi.

En revanche, il faut regarder avec un œil critique les écrivains algériens contemporains de Camus : Feraoun, Dib, Mammeri, Kateb, Senac et Jean El Mouhoub Amrouche. Qu’ont-ils fait durant la guerre? Ont-ils fait plus que Camus ou moins que lui.
Avec eux, c’est l’exigence de la vérité et de l’engagement qui s’impose.
Je pense que c’est la première fois qu’un roman pose avec beaucoup de tolérance la question de l’engagement de nos écrivains durant la révolution».

Quant au côté autobiographique, il répond : «Chaque auteur introduit des éléments saisis ici et là, accumulés au fil des ans soit dans son entourage, soit dans la société. Un Parfum d’absinthe n’échappe pas a cette règle qui est la base même de tout processus créatif.
Pour le père et la mère et leurs rapports exécrables, je me suis inspiré de personnes de ma propre famille.
En fait, d’un cousin éloigné, un homme de l’ancienne génération, admirable et injuste à la fois.
Les traits de caractère de la mère sont globalement ceux de ma grand-mère. Quant à Nabil et son épouse, ils sont inventés de toutes pièces, même si ici et là on pourrait retrouver leurs traits chez quelques personnes de ma connaissance. Vous savez, le monde est un formidable théâtre. Il suffit de bien regarder.»

Concernant cette quête et enquête du «Graal» de Camus, Hamid Grine explique : «J’ai toujours aimé Camus pour sa sensibilité et sa philosophie de la vie : vivre l’instant au maximum en se battant même si l’issue du combat n’est pas certaine, même si la vie est absurde. Les pages de Noces à Tipasa sont parmi les plus belles écrites sur notre pays, sur sa terre, sa nature... à chaque fois que je lis Noces à Tipasa, j’ai envie de m’y précipiter. Et souvent je m’y précipite. Pas d’Algériens dans les œuvres de Camus ? Mais Camus était français.Et c’est normal qu’il voyait l’Algérie avec ses yeux de Français, même s’il lui arrivait - et il faut lui rendre hommage - de dénoncer dans ses écrits journalistiques la misère en Kabylie et la répression dans le Constantinois. Il dénonçait les injustices et non les fondements mêmes du  système colonial. Il ne voulait pas d’une Algérie indépendante. Mais d’une Algérie autonome reliée à la France.   Tout cela est débattu dans le roman. Avec cette règle : ne jamais blâmer, toujours essayer de comprendre en se mettant à la place de l’autre pour voir les choses de la même façon que lui.»

Ce nouveau roman est plus élaboré, plus abouti et bien senti. Et puis, il est olfactif, filial et téméraire dans un trait cursif sans concession.


Vente-dédicace Librairie Générale

Place Kennedy-El Biar-Alger

Samedi 4 décembre à 14h

Hamid Grine signera son roman Un parfum d’absinthe Paru aux éditions Alpha(600 DA)

 

Source : El Watan

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26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 14:15

On aperçoit chez Rabia Djelti un rythme interne, fondé sur la reprise d’un mot, d’une cadence et ce procédé tend parfois au maniérisme. Une architecture experte soutient tel un équilibre fragile entre la beauté fugace et la sensibilité féminine qui l’accueille :

« Tous les feux sont entre vos mains
Et entre les deux sourcils une cicatrice
Alors que moi je jette des roses entre mes paumes
Et que ma langue est un chant profond
Ne soyez pas impatients …
Si vous tirez vos braises dans ma direction
Que faire alors lorsqu’arrive le printemps
Et lorsque la tempête des fleurs bombarde
Votre désert. »

Quand on lit ce poème, on découvre que la brièveté (du poème aussi bien que du vers) est l’effet d’un art poussé à peine en-deçà du précieux. Chez elle, un don verbal riche, exubérant parfois, n’est point endigué par l’anti-rhétorique qu’elle pratique. Elle traite les mots comme une matière plastique, comme des signes dont la contrepartie visuelle est immédiate :

« Près de la porte du jour dort la nuit
Tel un chien fidèle
Le jour dort près de la porte de la nuit
Tel un chien fidèle
Mais alors
Où donc se réveille le temps !? »

Comme dans cette Sonate (le titre est de l’auteur), Rabia Djelti a mis beaucoup d’images dans ses poèmes. Elle a visiblement beaucoup lu et tenté maintes expériences. Dans d’autres poèmes, Rabia Djelti épouse les sinuosités du mouvement, le courant de l’eau, du vent poussant les nuages, mais aussi celui de la conscience qui les perçoit :

« Pluie ferrailleuse
Où est-ce plutôt, un taureau vandale qui a rompu ses liens
Qui éplucha la braise de nos corps
Et plongea son orage et ses éclairs dans la mer
Notre sang au-dessus du soleil qui le regarde
Quand les soupirs deviennent ses brasiers
Ses éteignoirs
Ses cendriers. »

Témoignant de recherches inlassables dans des styles différents, la poésie de Rabia Djelti conserve souvent une saveur très algérienne et nullement esthète. Au jaillissement lyrique est substituée une démarche intellectuelle, progressant sur plusieurs plans imbriqués dans un système de références et d’allusions érudites du profond pays.

« Parce que nous sommes de la race des chevaux antiques
Nos hommes ne sont pas des tarets,
Et nos femmes
Ont la patience du palmier grandiose et glorieux
Ne sois pas donc triste, mon enfant
Il y a encore l’envie du monde, à l’horizon
Il y a encore des maisons dans l’entassement des roses
Et Yacine qui étrille sa ‘’Nedjma’’. »

Ainsi, la poésie cesse d’être chant pour devenir jeu de l’esprit ou des sensations. Enfin Rabia Djelti est une poétesse aux merveilleuses « irisations » impressionnistes, fixées en images claires, nettes, un peu graciles parfois, dont il serait injuste cependant de dire qu’elles n’ont pas de retentissement humain.

Tous les extraits de poèmes sont tirés du recueil , Qui est-ce dans le miroir ?
Traduit de l’arabe par Rachid Boudjedra. Editions Dar El Gharb, Oran, 2003.

 

Article de : Djilali Khellas ( El Watan )

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26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 13:59

O terre
Si tu ne peux contenir leurs prunelles
Et notre amour
Qu'es-tu terre
O terre
Si tu ne peux contenir leurs prunelles
Et notre patience
Qu'es-tu
Si les crânes t'annihilent
Et que tu remplis les fleurs de purs
Où s'en iront ton argile,
Ta glaise,
Tes alluvions,
Tes pommes,
Eve,
et Adam,
Où s'en iront le vin,
Les prophètes, les chansons
Les étoiles, les querelles et les averses
Où t'en iras-tu
Quand nous t'aurons désertée
Qui te cherchera parmi les astres ?
Nous sommes l'eau qui coule dans l'eau
L'eau s'abreuve de nous
Et Dieu sort des yeux de la mer
Dans l'infini.
Sur Lui
Nous divergeons
Comment nous purifier pour lui
Comment nous approcher de sa splendeur
Lui l'inatteignable
Comment élever l'eau et l'arôme de l'âme
Jusqu'à son trône
Alors que nous n'avons ni mains
Ni paupières ?
Nous palpons ses miroirs, sa blancheur
Dans les poches de la terre
Et nous sortons nus
Sauf des eaux.

 

Rabia Djelti, traduit par Rachid Boudjedra

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25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 13:55

 

Cette lettre a été écrite par Tahar Djaout après la mort ( le 26 fevrier 1989) de Mouloud Mammeri et   publiée par la revue ( AWAL ).  Le précis des Arts et des Lettres la reproduit pour ce qu'elle a comme charge émotionnelle, et pour ce qu'elle recèle comme éléments découvrant le caractère intime  du grand ecrivain, père de la renaissance identitaire Algérienne, que fut Mouloud Mammeri.       

 

 

mameri-djaout.jpgQui peut oublier les débuts de l'année 80 ? Des hommes qui nient une partie de la culture de ce peuple (tout le monde heureusement a oublié leurs noms, car ce ne sont pas des noms que l'histoire retient) t'interdisent de prononcer une conférence sur la poésie kabyle. De partout, de Bejaia, de Bouira, de Tizi-Ouzou, la Kabylie se lève pour défendre ses poètes. Et c'est toute l'Algérie qui, peu à peu, année après année, rejettera les baillons, les exclusions, les intolérances, la médiocrité et qui un jour d'octobre descendra dans la rue pour l'affirmer en versant une fois encore son sang. Toi, l'humaniste sceptique et indépendant qui n'a jamais assené de vérité, qui n'a jamais jugé personne, tu étais, presque malgré toi, en amont d'une prise de conscience.

 

        Comme il va être dur de devoir désormais parler de toi au passé! Quelques heures après ta mort, que ta famille et tes amis ignoraient encore, un universitaire qui venait d'assister à ce colloque d'Oujda d'ou tu revenais toi aussi m'entretenait de toi. Il me disait, entre autres, que tu avais passé sept heures à la frontière; trois heures et demie du cote algérien et autant du cote marocain. En dépit de ce que tu as donné a la culture maghrébine, tu demeurais un citoyen comme les autres, un homme qui n'a jamais demandé de privilèges qui a, au contraire, refusé tous ceux qui lui ont été proposés. Depuis le prix littéraire qui a couronné ton premier roman et que tu as refusé d'aller recevoir, tu t'es méfié de toutes les récompenses parce que tu savais qu'elles demandaient des contreparties. Tu n'étais pas de ces écrivains qui voyagent dans les délégations officielles, dans les bagages des ministres ou des présidents, et qui poussent parfois le cynisme jusqu'a écrire, une fois rentrés, des articles contre les intellectuels aux ordres des pouvoirs !

 

 

           Tes rapports avec le pouvoir (tous les pouvoirs) ont été très clairs; une distance souveraine. Tu étais, au lendemain de l'indépendance, président de la première Union d'écrivains algériens. Mais le jour ou l'on était venu t'informer que l'Union allait passer sous l'autorité du Parti, tu avais remis le tablier avec cette courtoisie seigneuriale qui t'est coutumière. Tu n'acceptais aucune contrainte, aucun boulet a ton pied, aucune laisse a ton cou. Tu étais par excellence, UN HOMME LIBRE. Et c'est ce que AMAZIGH veut dire. Cette liberté t'a coûté cher. De toute façon, tu en savais le prix et tu l'a toujours accepté. Tu as été peut-être le plus persécuté des intellectuels algériens, toi l'un des fils les plus valeureux que cette nation ait jamais engendrés. Le soir ou la télévision avait annoncé laconiquement et brutalement ta mort, je ne pus m'empêcher, en dépit de l'indicible émotion, de remarquer que c'était la deuxième fois qu'elle parlait de toi; la première fois pour t'insulter lorsque, en 1980, une campagne honteusement diffamatoire a été déclenchée contre toi et la deuxième fois, neuf ans plus tard, pour nous annoncer ta disparition. La télévision de ton pays n'avait aucun document à nous montrer sur toi; elle ne t'avait jamais filmé, elle ne t'avait jamais donné la parole, elle qui a pérennisé en des kilomètres de pellicule tant d'intellectuels approximatifs, tant de manieurs de plume aux ordres du pouvoir.

 

          Mais je vais clore là le chapitre navrant et long des brimades. Ce serait faire affront a ta générosité et à ta noblesse d'âme que de m'attarder a l'énumération des injustices, des diffamations qui glissaient sur toi comme de simples égratignures, qui te faisaient peut-être mal à l'intérieur mais ne transparaissaient pas. Tes préoccupations étaient ailleurs, tu avais autre chose à faire. Et puis, tu respectais trop les autres, même lorsqu'ils te faisaient du mal. Sans avoir jamais prétendu donner de leçon, ta vie, ton comportement, ton courage et ton intégrité constituaient en eux mêmes un exemple et une leçon. C'est pourquoi, toi l'homme modeste et brillant qui ne se montre gère et pris de court que lorsqu'il s'agit de lui-même, tu as toujours été au coeur de ce qui fait ce pays. Et les 200 000 personnes venues de toute l'Algérie escalader ces "chemins qui montent" pour t'accompagner à ton ultime demeure au coeur du Djurdjura témoignent en quelque sorte de cela. Toi l'homme pacifique et courtois, toi qui ne claques les portes que lorsqu'un pouvoir ou une chapelle quelconque tente de t'embrigader, tu as aidé, non par des déclarations fracassantes, mais par ta lucidité, par ton travail intellectuel minutieux et soutenu, au lent cheminement de la tolérance et de la liberté.

 

 

 

Et voici que nous devons désormais nous passer de ta présence chaleureuse et brillante, de ta superbe intelligence, de ta bonne humeur à toute épreuve, de ton endurance physique (on peut difficilement t'imaginer malade, par exemple) qui te faisait faire des centaines de kilomètres par jour pour aller donner bénévolement une conférence et remonter tout de suite après dans ta voiture. Tu es mort au volant de ta 205 (une voiture de jeune) comme le jeune homme fougueux que tu as toujours été. Sois rassuré, Da Lmulud, la dernière image que je garderai de toi ce n'est pas celle, émouvante, du mort accidenté que j'ai vu mais celle de ce jeudi 16 février ou nous nous étions retrouvés avec d'autres amis a Ighil-Bwamas pour discuter du tournage d'un film. Tu étais élégant et alerte comme toujours, en tennis. Tu étais le premier au rendez-vous. Tu nous plaisantais sur notre retard, disant que tu croyais te tromper de jour. Tu étais aussi le premier à repartir, toujours disponible et toujours pressé. Tu avais beaucoup de choses à faire, à donner a cette culture que tu as servie généreusement, sans rien demander en retour, supportant au contraire avec dignité les brimades que ton travail t'attirait. Tu étais impatient en ce jeudi 16 février comme si tu savais déjà que le temps pressait. Je te vois monter dans ta 205 et démarrer bruyamment sur la route difficile tandis que nous étions encore à bavarder. C'était la dernière fois que je devais te voir vivant.

 

          La jeunesse assoiffée de culture et de liberté t'a toujours reconnu comme l'une de ses figures symboliques, quelques intellectuels et artistes t'ont toujours témoigné amitié, respect ou admiration dans les moments les plus difficiles. Mais ces derniers mois, c'est tout le monde intellectuel et médiatique algérien qui a commencé à comprendre ton importance et qui a recherché ton point de vue. C'est vrai que certains medias, qui avaient peur de "se compromettre", te sont demeurés fermes jusqu'à ta mort. Mais que de projets auxquels des gens voulaient t'associer ! que de journaux t'ont interviewé ! Et toi, porté et comme enivré par cette brise de liberté, tu te démenais, tu prenais ta voiture, sillonnais les routes et te rendais partout ou l'on te sollicitait. Oran, Ain-El-Hammam (ou tu devais rendre hommage a Si Mohand ou Mhand et ou l'on t'avait offert un burnous), Bejaia. Et enfin Oujda. Au mois de janvier, à Bejaia, ta conférence sur la culture berbère a drainé tellement de monde qu'aucun édifice ne pouvait le contenir. Et c'est dans le stade de la ville que des milliers de gens t'ont écouté et ont discuté de leur culture. Quelle belle revanche sur l'interdiction de ta conférence en 1980 ! Quel trajet parcouru depuis cette date sur le chemin de l'expression libre !

 

          Je te revois à cette époque ou nous préparions l'entretien qui allait paraître aux éditions Laphomic. Je me rappelle la vivacité de ton intelligence, ton sens de la répartie, ta pudeur et ta gêne lorsque nous sortions du domaine de l'esthétique ou des idées et que je te demandais de parler de toi-même ( ton combat nationaliste, par exemple, ton militantisme au MTLD, ce que tu as souffert durant la guerre, tu ne les évoquais jamais même lorsqu'on te contestait ton passé ou qu'on t'en fabriquait un autre ). Je me rappelle surtout ta jeunesse indéfectible. Je nous revois prenant des glaces dans l'un de ces innombrables salons de thé qui encombrent la rue Ben M'hidi ou dans le café "Le Véronèse" à Paris.

 

          Tu seras toujours près de nous, éternel jeune homme des Ath Yenni et d'Algérie.



           Qim di lahna

                                                                            

 

Tahar Djaout

 

                                                                                                                                                                                                                                      

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24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 08:48

bettina.jpgUn beau livre (une réédition, la première fois c’était en 2007) que l’auteur consacre exclusivement à une artiste peintre qui, depuis le jour où elle découvrit l’Algérie, ne voulut plus la quitter. Il s’agit de Bettina Heinen-Ayech, une Allemande de naissance, mais Algérienne de cœur et de choix.

Sur les 94 pages de cet ouvrage, l’auteur raconte la vie de cette artiste, allant de sa naissance à aujourd’hui. Agrémenté de belles images des œuvres de Bettina Heinen-Ayech (aquarelles et encre de Chine), le livre contient des textes de Claude Touli qui nous raconte le parcours d’une femme qui, à l’âge de 12 ans, a vendu son premier tableau et a exposé à un âge où beaucoup se cherchent.

En feuilletant ce livre, on découvre les influences artistiques, les raisons de son installation en Algérie. “(…) L’influence la plus marquante fut sans doute, pour elle, celle qu’elle reçut, dès l’enfance, de l’artiste et écrivain Erwin Bowien, ami de la famille. (…)” Ce maître lui fit aussi bien découvrir “la lumière cosmique” de la Suède et de la Norvège, le soleil panique d’Edward Munch, que “les tendres couleurs de Paris (…) qui adoucirent sa palette (…)”. (Page 13) C’est aussi grâce à “cet ami de la famille” qu’elle découvrit la beauté du Maghreb et ce, à travers les couleurs. Une attirance qui deviendra un enracinement qui n’a pu se concrétiser que grâce au mariage de cette artiste avec Abdelhamid Ayech. En l’épousant, c’est l’Algérie qu’elle épousait. En 1963, elle s’installa à Guelma. Une ville d’adoption qu’elle ne quittait que le temps d’une exposition, en Algérie ou à l’étranger, même pas lors de la décennie noire que connut le pays. Édité à compte d’auteur, ce beau livre est tel un dédale qui nous permet de faire une intrusion dans la vie d’une plasticienne qui de tout temps a préféré vivre loin des feux de la rampe, récluse “volontairement” dans une ville qui lui a inspiré beaucoup de ses œuvres, et qui continue à l’inspirer. Tout au long des pages du livre, les images de ses œuvres dévoilent une artiste touche-à-tout : natures mortes, paysages ou portraits, Bettina Heinen-Ayech est “inséparable de la passion qu’elle met dans sa vie, de sa générosité et de sa quête d’authenticité. L’art, pour elle, ne saurait être ornemental ou purement ludique, simple volupté ou reconstruction intellectuelle (…)” Outre le fait d’avoir présenté l’œuvre picturale de l’artiste peintre, l’auteur a eu cette ingénieuse idée de décrire, voire de raconter Bettina Heinen-Ayech à travers des écrits réalisés par différentes auteurs, entre autres Claude Touili (agrégée de l’université), Edwin Wolfram Dahl (écrivain et poète), Hans Karl Pesch (critique d’art et écrivain), et bien d’autres. Des extraits de propos de l’artiste figurent aussi dans ce livre.

Des propos explicatifs, levant un peu plus le voile sur la personnalité et l’attirance artistiques de Bettina. On peut lire aussi un entretien que l’auteur a réalisé avec elle. Un entretien où elle se livre sans retenue, ni timidité. Les dernières pages de ce livre sont consacrées aux dates qui ont marqué sa vie – et elles sont nombreuses – et aux principales expositions que Bettina Heinen-Ayech a réalisées. On apprend aussi que hormis le musée des Beaux-arts d’Alger, d’autres musées (Allemagne, Syrie…) ont acquis ses œuvres. Plus qu’une rétrospective de la vie et de l’œuvre de Bettina Heinen-Ayech, ce livre est un hommage à une femme qui a consacré sa vie à l’art, sans artifices, sans attendre une contrepartie.

Bettina Heinen-Ayech, la rencontre d’un peintre et d’un pays, de Taïeb Larak, Alger 2010.

 

Liberté

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24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 08:42

souissi.jpgDans son deuxième roman, qui vient de sortir aux éditions Casbah, notre confrère Zoubir Souissi sort de l’autobiographie pour se frotter à la fiction.
Avec bonheur. Sur plus de 400 pages, il emmène le lecteur à travers les méandres de sa ville, les attentes et les petits secrets qu’on croit scellés mais qui sont connus de tous. Autour de quatre copains, l’auteur construit la trame. Tahar est le plus jeune de la bande, il a 17 ans. Abdallah est le plus mature. Mokhtar est le zazou de la bande même s’il est pauvre. Malek, au caractère forgé qui a toujours le mot de la fin. Enfin, Bouguerra, falot, peureux, il est fils d’un riche commerçant qu’Abdallah prend sous sa protection mais dont Malek en fait un souffre-douleur. Sur fond de guerre, les deux communautés algérienne et française sont sur le qui-vive.
La bande en excitation. Elle veut prendre part aux manifestations populaires de 1961. Juste brandir l’emblème national. Et soudain, l’histoire s’ébranle avec l’Indépendance pour caracoler jusqu’aux années noires de la tragédie nationale. Entre-temps, la bande est dispersée : Tahar est mort en héros. Malek est enseignant, de gauche et proche du peuple, Mokhtar et Abdallah ont émigré vers la grande ville. Que reste-t-il de la bande pour construire le roman ? Alors que l’on s’y attend le moins, Souissi bâtit sa trame sur la vie de Bouguerra, le falot et le peureux. Il le suit pas à pas. C’est à ces pages que le livre devient intéressant si bien qu’il est difficile de le lâcher. Bouguerra, qui a pris la succession de son père décédé, est une réplique exacte de l’Algérien moyen, complexé, machiste, hautain, mauvais et versatile plus qu’une girouette. À force de le croquer, l’auteur nous le rend par endroits sympathique, jusqu’à le plaindre. Membre du conseil communal, le premier post-indépendance, il s’incruste au parti unique, se fait élire député dans l’Algérie du parti unique, puis dans la mairie d’obédience islamiste et enfin membre du Conseil national de transition. C’est que ce n’est pas peu. L’auteur a su rendre chaque tranche de vie de l’époque.
Dommage que la rythmique soit cassée de temps à autre par des réflexions, somme toute lassantes. Pari réussi pour notre confrère qui nous montre admirablement qu’il a une autre corde à son arc.

Caméléon, de Zoubir Souissi, roman, 414 pages, éditions Casbah, Algérie 2010

 

Liberté

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24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 08:33

Fruit de l'univers littéraire et de l’imaginaire de Rabah Boukriche, ce roman écrit en arabe classique raconte l’histoire d‘un groupe de touristes allemands voyageant à Tamanrasset. Parmi eux, une jeune femme, clone de Claudia Shiffer.
Tout ce beau monde s'enfonce dans le sud algérien en compagnie de Salim le guide. Couleurs ocres, paysages ensorcelants, calme pénétrant. Mais au cours du voyage, la météo se gâte. Une violente tempête se lève, dispersant les touristes dans les dunes. Gravement blessée, la jeune fille aux cheveux d’or trouve soin et réconfort auprès de Salim. Sans ce dernier, elle serait sûrement passée de vie à trépas. La rescapée tombe follement amoureuse de son guide. Mais Salim est un homme marié…
Sabrinal
Dalila El-Azrakde Rabah Boukriche, Editions Houma, 2010, 203 p.

 

Le Soir d'Algérie

 

 

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