Issiakhem M’hamed. Peintre. Né le 17 juin 1928 à Ait Djennad près d’Azeffoun en Grande Kabylie, il vivra son enfance et son adolescence à Relizane où se sont installés ses parents alors qu’il n’a que 3 ans. Le père, riche propriétaire de bains maures, notable de la ville et militant nationaliste est trésorier de la medersa de Relizane. Il reçoit chez lui les uléma et aide à la construction de medersa. Le jeune M’hamed fréquente très tôt l’école coranique et baigne dans l’ambiance du mouvement nationaliste de l’époque. Il passe son certificat d’études primaires et montre déjà des dispositions pour le dessin puisqu’il reçoit un premier prix à l’age de treize ans, mais il ne songe pas à l’art outre mesure.
Le 27 juillet 1943 survient un drame qui va changer définitivement le cours de sa vie. En manipulant une grenade subtilisée dans un camp militaire américain. Il provoque une explosion qui tue une de ses jeunes sœurs et son neveu sur le coup … La seconde sœur est grièvement blessée. Lui-même perd son bras gauche, des orteils, une phalange et gardera des éclats dans la main et les yeux. Yasmine, sa jeune sœur, meurt peu après à l’hôpital. Il portera, toute sa vie, les traces indélébiles de cet accident …
Meurtri par ces tragiques évènement, il quittera le foyer familial en 1947, arrive à Alger où il s’inscrit à la Société des Beaux-Arts, suit des cours d’enluminure et de miniature ( il garde sa vie durant d’excellentes relations avec les peintres et miniaturistes Temmam, Hioun, Louail et Kerbouche) puis rejoint l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Alger où il sera l’élève de Mohamed Racim. Il se lie d’amitié avec Kateb Yacine en 1951.
Durant la même année, il expose ses premières œuvres à la galerie Morice (Paris). Il fréquentera l’Ecole des Beaux-Arts de Paris de 1955 à 1958 et se forme dans les ateliers des maîtres Legueult et Goerg. A Paris, il découvrira les intellectuels et les grands maîtres de la peinture. Il peint en 1957 la porterait de Djamila Bouhired pour dénoncer la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. Les toiles qu’il a réalisées à cette époque étaient un véritable hymne à la Révolution algérienne et un témoignage poignant sur les atrocités commises par les soldats de l’occupation, comme le souligne son ami d’enfance Yacine Damerdji. Il expose en 1959 à la galerie Daulshag à Leipzig en République démocratique allemande où il réside, et à Paris en 1966.
Pensionnaire de la Casa Velasquez en 1962, il rentre à Alger avec Kateb Yacine et collabore jusqu’en 1964 au journal Alger-Républicain. Membre fondateur de l’Union nationale des arts plastiques (UNAP), il rejoint l’Ecole nationale des Beaux Arts d’Alger où il devient enseignant en 1964. Il est nommé, en 1966, directeur à l’Ecole des Beaux-Arts d’Oran. En 1969, il obtient au Festival panafricain d’Alger le premier prix pour son œuvre A la mémoire de … En 1971, il est professeur d’art graphique à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger. Il séjournera en 1972 à Moscou et en 1977 au Vietnam.
Membre du Groupe des 35, Issiakhem participe à de nombreuses expositions en Algérie et à travers le monde (Tunis, Paris, Sofia, Moscou, Avignon … ). Il s’est occupé également de création de timbres-poste et de billets de banque et participe à la réalisation des fresques du musée central de l’Armée. Il réalise l’illustration du roman Nedjma de Kateb Yacine en 1967, et assure les décors des films La voie de Mohamed Slim Ryad et Novembre de Damerdji en 1968 et 1971.
Il reçoit de nombreuses distinctions dont le prix de la Casa Velasquez en 1958, la médaille d’or à la Foire internationale d’Alger en 1973, la première Simba d’or de la peinture décernée par l’UNESCO en 1980 à Rome, la médaille du Vatican en 1982 et la médaille de Dimitro à Sofia en 1983. Il épouse, en 1971, Nadia Chelliout. Deux garçons, Younès et M’hamed, naîtront de cette union.
Il meurt à Alger dans la nuit du 1er décembre 1985 des suites d’une longue maladie.
Plusieurs expositions se sont tenues en hommage à cet illustre artiste et la ville de Relizane lui a rendu hommage en présence d’un grand nombre d’artistes et de sa veuve. Il recevra le 5 juillet 1987, à titre posthume, la médaille du mérite national.
Ses œuvres sont conservées au musée national des Beaux-Arts d’Alger, au musée Zabana d’Oran, à la Présidence de la République et la plus grande partie dans des collections privées. Seulement 500 œuvres sont répertoriées à ce jour.
Issiakhem a sans nul doute laissé une œuvre considérable et variée qui demeure un legs inestimable pour le patrimoine culturel national. Il a durant sa carrière exercé sur de nombreux registres : élève du grand maître Racim, il maîtrisait l’art de la miniature. On lui doit également de nombreuses œuvres graphiques, quelques paysages et des compositions dans l’art abstrait. Mais c’est incontestablement dans l’art du portrait, notamment féminin que le peintre s’est le plus distingué. Quelques jours avant sa mort, le peintre confie à un journaliste algérien qu’il a commencé en peignant le portrait de Djamila Bouhired arrêté à Alger, condamnée à mort et torturée … « Depuis, dira-t-il, je peins toujours Djamila. » Le portrait servira de document au FLN pour dénoncer la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie …
La femme restera sa principale source d’inspiration. « Femmes-symboles, mais non icônes », dira Anissa Bouayad dans l’Art et l’Algérie insurgée. Ce qui l’on retiendra des multiples portraits qu’il réalisera, c’est que Issiakhem, ce peintre « iconoclaste et irrévérencieux », tel que le définit son ami l’écrivain Benamar Mediene va défier les conventions artistiques et les règles de l’esthétisme classique …. L’observation d’anciennes gravures, comme cette Rue de la Casbah datant de 1949, laisse entrevoir une maîtrise parfaite des règles techniques de la perspective et un sens aigu de la précision … Pourtant les personnages d’Issiakhem semblent appartenir à un univers fantasmatique et irréel de tourmente et d’angoisse. Visages familiers ou ombres anonymes, jeunes personnes ou créatures plus âgées, les femmes d’Issiakhem semblent asexuées, dépourvues d’artifices et de galbes suggestifs et ne développent aucune esthétique sensuelle particulière … Elles paraissent même avoir perdu le moule de la bienséance figée … Elles sont saisies dans leur vérité profonde, dans leur cruelle réalité telle que la stigmatise le peintre … Leurs traits sont alors volontairement déformés, leurs défauts violemment exacerbés … Tordus de douleur, en transes ou éperdus de sérénité, elles sont touchantes dans leur sincérité gauche et profonde « Quand je peins je souffre, j’ai mal … », dira le peintre.
Il ira au-delà des apparences pour explorer l’intériorité de l’âme …
L’ « œil de lynx », comme l’appelle son ami le poète Kateb Yacine pour sa brûlante perspicacité, ira du simple visu vers l’au-delà de la conscience des choses. « Je peins, dira-t-il, à partir de mon lien de mon histoire pour aller plus loin dans le temps et l’espace … Mes personnages algériens n’ont pas déliré ! …»
Indubitablement, c’est dans son histoire tragique qu’il va puiser la sève nécessaire à sa verve créatrice : les deuils multiples provoquées par l’horrible déflagration, la douloureuse perte de ses proches, la privation de son bras qui le hantera très longtemps et la frustration de l’amour maternel.
Peintre à l’expressionnisme abstrait, fervent admirateur de Soutine, Issiakhem donne la pleine mesure de son talent dans cette huile sur toile réalisée en 1962-1963, La veuve, et dont Lucien Golvin dira : « La veuve d’Issiakhem est si émouvante et si vivante qu’on y retrouve un écho vécu … », car ce n’est pas l’icône de la veuve éplorée, abîmée dans sa douleur et son deuil que nous oppose le peintre … C’est une représentation d’un réalisme cinglant qui le fera aller au bout des choses et fera dire à l’écrivain Benamar Mediene : « Ce n’est pas une attitude de malheur matrimonial qui est sujet mais l’oubli … la digne rigidité du corps évoque oblitération et sutures sensuelles. C’est un corps impensé, soustrait à lui-même et qui subit par cette intégrale négation, une violence d’anéantissement » … On remarque que la femme tient à ses côtés un enfant aux traits durement burinés d’adulte. Il se serre en bouclier (ou en étendard ? ) tout contre sa mère, et semble porter tout le poids de la tragédie de l’histoire : Lucien Golvin, saluant encore une fois ce chef-d’œuvre, ajoutera : « Issiakhem, par la grandeur simple de sa verve, justement parce qu’il n’a pas recherché l’effet, parce qu’il n’a pas torturé son talent, a trouvé la note juste … ».
Tout au long de sa carrière, le peintre, rompu aux débats d’école et aux techniques les plus modernes de l’art contemporain, a tenté de percer le mystère des êtres et d’aller aux tréfonds de l’âme humaine en peignant avec cet art nu, dénué de fioritures, projetant en amalgames compacts sur sa toile, les vibrations de sa charge émotionnelle intacte, puisant dans la profondeur de sa conscience et avec son inénarrable talent la force de sa douleur, car, comme l’affirme Anissa Bouayad, analysant l’impact de la guerre d’Algérie dans l’œuvre l’Issiakhem, on y retrouve « ce catapultage de l’histoire et du drame personnel, de l’imaginaire du peintre et d’une conscience collective dont ces figures de proue incarnent à la fois la souffrance et la résistance ».
Privilégiant l’abstraction, il a néanmoins préconisé la représentation de la figure humaine, essentielle pensait-il à la perception de l’art pour un public en majorité non initié. Ses compositions tenteront la subtile réunion des trois éléments : végétal, minéral et animal et iront au fil du temps vers un style de plus en plus dépouillé.
Djamila FLICI-GUENDIL
( in DIWAN AL-FEN, Dictionnaire des Peintres, Sculpteurs et Designers Algériens, ENAG/ANEP 2007)
Témoignages récents et interessants de quelques amis :
SLIM : Je me souviens encore…
M'hamed Issiakhem m'a toujours intrigué. Je l'ai souvent rencontré via des amis qui le connaissaient bien, fin des années 1970 à Alger. M'hamed me faisait penser immédiatement au look des peintres de la période des années vingt à Paris. Il ne parlait pratiquement jamais de peinture. Il préférait, je pense, que son travail soit d'abord admiré et que la jonction entre l'œuvre et celui qui la contemple soit faite. J'ai vu beaucoup de ses tableaux chez des amis communs qui les gardent précieusement dans leur salon. Ils lui avaient fait la promesse de les lui restituer en cas de rétrospective, mais ça devait être des promesses de Gascons !
Sa peinture met mal à l'aise tant elle raconte les souffrances de ses personnages et leur univers chaotique. J'ai beaucoup apprécié certaines de ses huiles qui étaient chez Néfissa, une de ses plus grandes amies à Tunis et à Rabat. J'ai pu mesurer l'ampleur de l'artiste et son travail complexe. M'hamed me respectait beaucoup, mais moi, il m'intimidait. Surtout à cause de son infirmité qui me faisait penser à Vincent Van Gogh, je ne sais pas pourquoi. Je l'ai côtoyé aussi un moment à Paris en 1972 avec Kateb Yacine qui faisait sa tournée avec la pièce Mohamed prends ta valise et avec lequel j'avais un projet de BD, resté à l'état de vœu pieux. Je me souviens encore de ce petit restaurant kabyle où nous passions beaucoup de temps à refaire le monde. J'entends encore le rire d’Issiakhem et ses empoignades amicales avec son ami Kateb...
Puis vint la période du journal La République avec Bachir Rezzoug, en 1973, à Oran. Là aussi, je le rencontrais au hasard de ses entrevues avec notre directeur qui l'appréciait. Il avait même SA rubrique spéciale dans le quotidien révolutionnaire d'Oran. Je m'en veux de ne pas avoir brusqué cette timidité qui m'a empêché de le connaître davantage, d'échanger avec lui, le grand Issiakhem. Ah ! Si tous les heureux dépositaires de ses toiles daignaient au moins les laisser photographier pour les répertorier ! Toutes ses œuvres innombrables, disséminées de part et d'autre de la Méditerranée, seraient alors connues pour que notre mémoire se souvienne de l'œuvre grandiose de M'hamed !
-Djahida Houadef : Eclat maternel
Issiakhem a vraiment le pouvoir de manipuler la lumière, un genre de pouvoir divin qui n’a été donné qu’à lui. Lorsque j’ai rencontré son œuvre dans les années quatre-vingts, j’ai cru la voir naître des côtes de nos mères. Une douleur aiguë, sans aucun cri ni écho. Une délivrance incertaine avec une expression floue et vague qui essaye de sortir de sa craintive chrysalide. Des corps difficiles à cerner compulsent la stabilité de l’horizon. Une présence abattue par un poids invisible exprime ce besoin de quelque chose. Des regards coléreux et vagues perdus dans l’interminable doute.
Les traces d’un chaos ou d’une guerre pesante étaient bien présentes. Des plaies en multiples craquelures devaient être restituées, même s’il le faut avec un seul bras. En coups de brosses ou en estampes de couteaux, cette force intérieure devait bien réagir pour son existence. Avec une concertation étroite par une affectivité partagée, une tendresse héritée et un amour nourri, les ailes de la liberté se sont rétablies et nos mères ont refondu au cœur de l’œuvre d’Issiakhem une Nedjma au goût de notre amour, l’Algérie…
-Nour-Eddine Saoudi : Souffrances et chuchotements
Issiakhem, M’hamed. Aurait-il pu s’appeler autrement ? Je ne peux imaginer un autre patronyme que celui qui le consacre aujourd’hui, que celui qui le révèle à son environnement naturel, son Algérie, à nous tous, mais à lui d’abord. Son nom est désormais et inéluctablement lié à son œuvre. Violenté, il s’est fait violence. Meurtri dans sa chair et dans son sang, il tentera désespérément de s’absoudre de la cruelle culpabilité qui le ronge, qui le précède dans sa fuite pour mieux s’emparer de son âme tourmentée.
Elle libérera son génie créateur. Voilé, éthérique, son ouvrage d’orfèvre nous le révèle enfin. Explosion de violence qu’il voudrait partager, mais parce qu’elle est pudeur, elle est tue. Souffrances de l’homme, souffrances d’une terre prodigue, souvent trahie, à laquelle il appartient. Ses meurtrissures sont susurrées, chuchotées à l’aimé, car lui seul peut comprendre la mesure des allusions et des douleurs contenus dans ses toiles. Nous sommes ces êtres aimés… Du moins, nous l’espérons.
N-E.S. Musicien. Géologue et préhistorien.
-Mohamed Balhi : Ces silhouettes qui me hantaient
A mes débuts à Algérie-Actualité, en 1980, j’avais été hanté longtemps par deux peintres aux styles opposés. La nuit, Issiakhem, et le jour, Ziani. Il se trouve que j’étais alors généreusement hébergé par le réalisateur Hassan Bouabdallah, dont l’admirable épouse, Malika, était directrice du Musée national des beaux-arts. Ce couple d’artistes avait lui-même été dépanné par un ami qui leur avait prêté son bel appartement, non loin de la place Addis Abeba et du restaurant Carthage. Je dormais dans le salon, avec, comme décor, des œuvres authentiques de M’hamed Issiakhem, dont l’une rehaussée d’un texte de Kateb Yacine.
Je pouvais à tout instant contempler ces silhouettes tourmentées, badigeonnées d’ocre et de bleu. Chaque matin, je passais par le souterrain des facs et je m’attardais sur les tableaux hyperréalistes exposés dans la boutique de Ziani.
C’était, avant le croissant et le café crème, mon choc émotionnel. Un jour, alors que j’avouais ma préférence pour le style Ziani, j’eus l’impression d’avoir commis un sacrilège.
Hassan m’engueula : «Quoi ! Tu n’aimes pas Issiakhem ? Ziani, ce n’est que la maîtrise de la technique pure !» «Chez Ziani, dis-je, on voit vraiment les veines de la main crispée, comme si l’on assistait à un cours d’anatomie (merci Rembrandt !)» Issiakhem me renvoyait-il l’image d’une Algérie déstructurée, d’une société désarticulée, dont je voulais effacer les traces ? Comment me défaire de ces silhouettes qui m’empêchaient parfois de dormir, alors que j’avais toute la baie d’Alger en vue et ses scintillements la nuit ? Ces silhouettes difformes, je pouvais les toucher...
En fin de compte, c’est Issiakhem qui triompha dans mon subconscient. Car il est là à chaque fois que je vois un artisan pétrir de la glaise, à chaque fois que je croise, au détour d’une ruelle, une femme d’un certain âge. Quelqu’un a dit : «N'oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies et qu'à celles-là nous y obéissons sans le savoir». C’est de Vincent Van Gogh, un autre écorché.
-Nouredine Ferroukhi : Son art n’est pas mort
Mettre en vis-à-vis la vie et l’œuvre d’Issiakhem est une tentation que l’artiste à alimentée et en même temps rendu vaine. S’il a toujours affirmé que sa peinture porte un témoignage permanent de sa vie, c’est qu’elle n’est pas seulement un reflet plastique, mais l’écho d’un vécu. Ainsi, l’œuvre relève aussi bien de l’attitude de l’artiste et de son engagement que de l’origine culturelle de son art. Comme il le disait si bien, «un pays sans artistes est un pays mort». Cela veut dire aussi que la culture rentre dans l’œuvre sous toutes sortes d’aspects. Voilà pourquoi l’œuvre se construit, par conquêtes et par à-coups, crises, ruptures et remises en cause majeures, mais non sans tourments, avec un acharnement et des reprises qui la font échapper à la linéarité de la chronologie.
Le questionnement sur l’existence remonte à loin et continue à se poursuivre. La difficulté d’être dans ce monde correspond, dans l’art, à la crise de la représentation que l’artiste Issiakhem a voulu démontrer à travers son propre style. Il abandonne toute référence anecdotique à la vie, à seule fin d’en extraire plus clairement le motif dont il a le plus besoin pour donner corps à sa vision. Issiakhem a l’art de toujours tisser des liens forts entre son travail et ses expériences personnelles. (…) Comme tout créateur véritable,
Issiakhem est conscient que lorsqu’il peint, tout comme il peindrait un portrait, il ne cherche pas la ressemblance, qui lui importe moins que la vérité. S’il s’interroge sur lui-même, c’est à partir des moyens qui sont les siens.
Sous le nom de M’hamed Issiakhem, les mots peuvent-ils remplacer l’émotion provoquée par un tableau, par un dessin ou une eau forte ou la déclencher mieux que le regard ? Ce regard d’Issiakhem que son ami, Kateb Yacine, surnommait «Œil de lynx».
-Liazid Khodja : Le happening permanent
L’Algérie des années soixante-dix a vécu un bouillonnement culturel dont on n’a pas fini de faire l’inventaire. Les écrivains, tant francophones qu’arabophones, bousculaient la frilosité de leurs aînés. Les cinéastes, autour de la Cinémathèque, emportés par la fièvre des temps nouveaux, se reconnaissaient dans Omar Gatlato. Les peintres, partagés entre rupture radicale et réappropriation critique de l’héritage pictural ancien, cherchaient des réponses à leurs rêves…
C’était l’époque de la chanson A vava inouva. C’était aussi Alger, ville ouverte, avec ses terrasses et cette ivresse d’exister, Alger où l’on croisait ce couple magique du peintre et du poète : M’hamed Issiakhem et Kateb Yacine. Familiarité, proximité, complicité, on s’enivrait au vrai sens du terme de ces rencontres dont, avec l’accoutumance, on attendait le moment des retrouvailles. Issiakhem comme Kateb Yacine nous fascinaient par ce permanent happening, marqué par une douloureuse quête identitaire. L’un comme l’autre, l’un et l’autre, ont donné tant à la peinture qu’à la littérature, leur dimension tragique, celle de la plus haute exigence.